Adroit mélange d’aventures et de romance, L’Odyssée de l’African Queen, initialement sorti en France sous le titre L’African Queen et La Reine Africaine, est un classique incommensurable qui fonctionne toujours, trois quarts de siècle après, grâce à la magie du couple Bogart / Hepburn. Un plaisir incontournable de cinéphilie au tournage pourtant mouvementé.
Synopsis : L’Afrique en 1915. Charlie Allnut, américain, transporte sur son bateau “l’African Queen” toutes sortes de marchandises qu’il distribue dans les villages. Il prévient le révérend Sawyer et sa soeur Rose, tous deux sujets britanniques, de l’approche des troupes allemandes. Il revient le lendemain et embarque Rose, pensant la déposer en territoire neutre. Mais, décidée à lutter, elle l’oblige à descendre les rapides du fleuve pour rejoindre les Anglais.
Une adaptation légendaire de longue haleine
Critique : Cela fait plus de quinze ans que différents studios tentent d’adapter le roman de C.S. Forester, The African Queen, avec à chaque fois des contraintes qui finissent par faire capoter le projet. Ainsi, en 1938, trois ans après la publication du roman, Warner Bros envisage David Niven, et même John Mills, pour accompagner Bette Davis en haut de l’affiche.
Finalement, lorsqu’en 1950 le roman tombe dans l’escarcelle de la United Artists, la compagnie trouve le casting idéal, à savoir Humphrey Bogart et Katharine Hepburn, au sommet de leur carrière. Si différents au premier abord, les deux stars n’avaient alors jamais joué ensemble.
Un tournage épique et romanesque
Très rapidement, John Huston, génie de l’adaptation, est convié à les rejoindre par son grand ami Bogart avec qui il a déjà tourné trois films majeurs. Chaque participant s’accorde immédiatement sur un point essentiel : le projet n’est viable que s’il est réellement tourné en Afrique. Et il le sera, en Uganda et au Congo Belge. Dès lors, l’aventure d’un tournage cauchemardesque commence : entre un script jamais achevé qui provoquera l’ire d’Hepburn et des producteurs, d’innombrables problèmes de logistique, une équipe technique intégralement malade dans une région du monde exotique, et un metteur en scène qui semble plus passionné par l’alcool – comme son ami Bogart – et la chasse que par le métrage qu’il produit, les ennuis ne cessent de s’accumuler.
Malgré l’attitude peu concernée de John Huston (qui en veut au studio d’avoir profité de son absence pour charcuter son long-métrage précédent, et en particulier au producteur légendaire de Sur les quais, Lawrence d’Arabie et Le pont de la rivière Kwai, Sam Spiegel), African Queen demeure aujourd’hui encore un vrai bonheur de cinéphile.
L’African Queen, une date dans le cinéma d’aventure américain
L’histoire contée est ainsi un véritable modèle du genre qui a ensuite inspiré tous les cinéastes, notamment ceux des années 80 (Spielberg, Zemeckis et consorts). Ensuite, parce que les deux acteurs principaux donnent le meilleur d’eux-mêmes et forment un couple aussi improbable qu’attachant. L’Académie des Oscar ne s’y est pas trompée et a d’ailleurs décerné le prix du meilleur acteur à Humphrey Bogart, pour la première et unique fois de sa carrière, quelques semaines avant la sortie française du film. Hepburn se fera voler la vedette par Vivian Leigh pour son revival tragique dans Un tramway nommé désir qui paraît sur les écrans français la même semaine que L’African Queen également titré en France La Reine Africaine. Le roman de C.S. Forester, lui, est publié dans l’Hexagone sur le tard, en 1950, dans la collection Marabout, sous le titre d’Aventure africaine.
Des images époustouflantes
Le tour de force de John Huston est d’avoir su rendre passionnant une intrigue construite sur une unité de lieu (le bateau éponyme), avec comme seuls personnages, deux protagonistes euphoriques, notamment Katherine Hepburn dans un rôle éminemment sympathique qui cassait son image hautaine avec laquelle elle joue ici savoureusement.
L’âge d’or d’Hollywood
Grâce à une réalisation appliquée, à de magnifiques images du chef opérateur Jack Cardiff, et évidemment à des paysages grandioses, African Queen a impressionné en son temps où l’ailleurs passait par le cinéma, et est devenu un grand classique du film d’aventures, une référence absolue qui garde tout son charme, malgré la présence d’effets spéciaux perfectibles, et un contexte historique que certains trouveront déplacé. Certes, l’on trouve la deuxième guerre mondiale en toile de fond, mais aussi l’Afrique colonisée. Walt Disney s’inspirera beaucoup de cette merveille du cinéma d’aventure pour subjuguer les foules avec Jungle Cruise de Jaume Collet-Serra, en 2021, sans jamais parvenir à retrouver le charme unique de ce jalon de l’âge d’or d’Hollywood.
Virgile Dumez
Box-office d’African Queen
Au box-office, dans un ensemble franco-français, L’African Queen s’approprie une 47e place annuelle avec 1 511 336 entrées. Sur Paris, où il est initialement sorti sur deux cinémas, le résultat est plus exaltant, avec une 29e place annuelle, et 414 055 amateurs d’exotisme chic.
Au fil des reprises et de nombreuses altérations de titres, le classique finira sa carrière à plus d’1 800 000 entrées sur notre territoire. L’on ne comptera plus le nombre de diffusions à la télévision, d’éditions VHS, DVD et blu-ray.
Aux USA, La Reine Africaine deviendra le 7e plus gros succès d’Humphrey Bogart, derrière Ouragan sur le Caine, Casablanca, Le port de l’angoisse, Sabrina, Les anges aux figures sales, et Remerciez votre bonne étoile. Le classique avec la star de Key Largo, Le faucon maltais et La comtesse aux pieds nus, comptabilisera 211 000 000$ si l’on ajuste ses recettes initiales au cours du dollar en 2019.
Pour Katherine Hepburn, The African Queen sera le 6e plus gros succès d’une carrière monumentale. Comme pour Bogart, avec lequel elle tournait pour la première fois, cela sera aussi leur première expérience en couleur.
Le succès fut tel qu’aux USA, en 1951, l’adaptation du roman de C.S. Forester se positionna au milieu d’autres classiques iconiques comme Un Américain à Paris, Un tramway nommé désir, Quo Vadis, Alice au pays des merveilles, Show Boat… On ne pouvait rêver d’un meilleur cru.
Frédéric Mignard
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Les sorties de la semaine du 26 mars 1952
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